lundi 4 février 2013

Manoeuvre à simple action : 4 Critique.


 Suite et fin de cet article de la Revue Militaire Générale. Je reprendrai ensuite la traduction des "Taktische Aufgaben".

TROISIÈME PARTIE - CRITIQUE

D. Arrêtons ici l'exercice.

Je vous ai dit mon opinion au sujet de vos opérations de cavalerie; je n'y reviendrai pas.

Quelques observations seulement au sujet de vos ordres initiaux :

Le paragraphe II de votre ordre d'opérations eût été complété avantageusement par l'indication de ce que vous vous proposez de faire, en cas de rencontre avec l'ennemi sur la rive droite de la Seille. L'attention de tout le monde aurait été ainsi attirée sur cette éventualité, et chacun aurait été fixé sur vos intentions.

Au sujet des mesures prescrites à votre cavalerie, quelques observations de détail :

1° J'aurais fait appuyer par un peloton les reconnaissances d'officier dirigées sur Custines et sur Marbache. Ces reconnaissances vont loin vous prévoyez que leur mission pourra durer toute la journée. Il est utile de mettre à leur portée un repli.

2° Vous faites partir de Fleury, à 5h3o du matin, un demi-peloton de cavalerie, pour chercher la liaison avec la droite de l'armée. C'est un élément un peu lourd pour la mission dont il s'agit ; l'heure de départ est aussi trop tardive. Vous avez un intérêt majeur à être renseigné de ce côté le plus tôt possible. C'est une reconnaissance d'officier, partant de très bonne heure, et marchant vite, qu'il fallait envoyer. Elle vous aurait renseigné directement. Cela n'eût pas dispensé, bien entendu, votre commandant de cavalerie d'assurer cette liaison par ses propres moyens, comme vous le lui avez d'ailleurs prescrit.

3° Vous prescrivez à votre cavalerie d'aller retarder l'ennemi sur la rive gauche de la Seille, dans le secteur Aulnois, Jeandelaincourt. Ce secteur n'est pourtant pas le seul intéressant : l'ennemi peut s'avancer aussi bien à l'ouest de la ligne Nomeny, Jeandelaincourt. Votre intention est bien que, dans ce cas, votre cavalerie opère de même alors ne lui limitez pas son secteur d'action.

Je passe maintenant à l'étude de la manœuvre de votre brigade mixte. Mais il me paraît utile de vous donner au préalable quelques indications sur la situation, la mission et les opérations de l'adversaire supposé auquel vous avez eu affaire.
Pour l'ennemi, l'hypothèse générale faite par le directeur était la suivante :
L'armée ennemie (du sud) a forcé, le 28 février, les passages de la Seille entre Vic et Manhoué. Son corps de gauche, non engagé dans la journée, a pu atteindre à la nuit, avec son avant-garde, Arraye et Ajoncourt. Son gros s'échelonne de Leyr à Custines.
Il détache à gauche une brigade d'infanterie et trois batteries à Belleau et Sivry (1 bataillon à Lixières), un régiment de cavalerie et 100 cyclistes à Nomeny.
Le corps d'armée a pour mission, le 1er mars, tout en s'efforçant de déborder l'aile droite de l'armée du nord, de couvrir le mouvement en avant général de l'armée du sud contre une tentative venant de Metz.
Dans ce but :
L'avant-garde se porte, le 1er mars au matin, d'Ajoncourt sur Puzieux.
Le détachement de flanc se porte, par Nomeny, sur la rive droite de la Seille, en vue d'aller s'établir au nord des bois de Ressaincourt et de Secourt, et de reconnaître dans les directions Nomeny, Metz et Delme, Metz.
Le gros du corps d'armée s'avance, par la grande route, sur Létricourt, prêt à agir suivant les circonstances.
C'est au détachement venant de Belleau et Sivry, et formant l'avant-garde du corps d'armée, par Nomeny, dans la direction de Metz, que vous avez eu affaire.
A l'approche de votre colonne venant de Fleury, la cavalerie et les cyclistes ont occupé Nomeny et Rouves, pour tenir ces deux localités jusqu'à l'arrivée du bataillon venu de Lixières.
Grâce aux couverts qui masquent du côté du nord le pont de Nomeny, ce bataillon réussit, malgré la présence de votre section d'artillerie à l'ouest de Mailly, à franchir la Seille par fractions. Une fois rassemblé à l'ouest de Nomeny, il attaque le mamelon au nord de cette localité, avec l'appui de l'artillerie, qui a pris les devants et s'établit tout d'abord sur le plateau de la ferme de Laborde. Une de ses batteries franchit le pont, par voitures successives, et vient ouvrir le feu de la hauteur au sud du cimetière.
Quand votre cavalerie et sa batterie se sont repliées, le bataillon du parti sud, qui s'est emparé du mamelon au nord de Nomeny, se porte, largement déployé, dans la direction de Raucourt, à cheval sur la route, couvert à gauche par la cavalerie (3 escadrons), qui s'est avancée vivement, par Rouves, à la suite de vos deux escadrons évacuant ce village. Les cyclistes ont pédalé sur Éply. Le quatrième escadron s'est porté sur Mailly, où il a été accueilli à coups de fusil. Le bataillon, tête du gros de la brigade, qui pendant ce temps a atteint et franchi la Seille, marche sur le village. L'artillerie prend position tout entière sur le mamelon 1 kilomètre nord de Nomeny.
Le bataillon dirigé sur Mailly s'en empare, et attaque la lisière sud du bois de Mailly. Le bataillon dirigé sur Raucourt attaque le village, avec l'appui de l'artillerie, qui a fait un bond en avant, pour venir s'établir sur la crête 1500 mètres nord-est de Rouves. Un bataillon du gros s'avance dans la dépression à 1500 métres sud de Raucourt, prêt à soutenir l'attaque, assurant également la protection de l'artillerie. Le reste du gros (3 bataillons) se rassemble dans le pli de terrain 1 kilomètre à l'ouest de Mailly, masqué par la crête.
Le commandant du détachement, constatant que son infanterie progresse dans le bois de Mailly et le long de la lisière ouest de ce bois, se décide à faire avancer son gros à l'abri (à l'est) de la crête 235, pour porter son principal effort sur Ressaincourt et le bois de Ressaincourt. Il appelle une de ses batteries, qui, lorsque l'infanterie est déployée devant les deux points d'appui, vient s'établir à la cote 235.
Le bataillon en réserve 1500 mètres sud de Raucourt reçoit l'ordre, au cas où l'ennemi passerait à l'offensive direction Raucourt, Nomeny, de recueillir le bataillon qui attaque le village, et de contenir l'attaque avec l'appui de l'artillerie.


J'aborde maintenant l'examen de votre manœuvre :

Rien à dire des dispositions que vous prenez à 8h20. Tous vos efforts doivent tendre tout d'abord, c'est visible, à vous établir sur la position Raucourt, Ressaincourt. Cette position, forte sur son front, peut difficilement être abordée par l'ouest : le terrain entre Éply et Raucourt se prête mal à une attaque. A l'est, elle s'appuie au massif forestier, où vous devrez mettre du monde pour vous couvrir, et pour assurer, - ce qui est essentiel, - votre liaison avec l'armée du Nord. Vous serez là en excellente posture, soit pour résister, si vous y êtes obligé, soit pour passer ensuite à l'attaque.
Mais, à 8h20, on vous signale la fusillade du côté de Mailly, où vous n'avez qu'un escadron. Les progrès de l'ennemi dans cette région sont particulièrement inquiétants, car ils tendent à vous séparer de la droite de votre armée, que vous avez expressément pour mission de couvrir. J'estime que vous ne vous en inquiétez pas assez. Vous dirigez un bataillon d'avant-garde de ce côté, mais vous l'arrêtez à Ressaincourt et à la corne sud du bois du même nom. Sans doute, il fallait assurer tout d'abord la possession de ces deux points d'appui. Mais, au moins provisoirement, une compagnie dans chacun d'eux c'était largement suffisant. Le reste du bataillon, il fallait le pousser tout de suite sur Mailly pour occuper le village et rester maître tout au moins de la lisière sud du bois de Mailly.
Une observation à propos de vos ordres de 8h20 : vous n'indiquez à aucun des exécutants le but que vous vous proposez. Vous leur dites: Faites ceci, occupez tels points, avec telles forces … Vous les maniez comme les pions d'un jeu d'échecs, auxquels on n'est pas obligé d'expliquer pourquoi on les déplace. Aucune idée d'ensemble de l'opération à laquelle ils vont concourir et, ceci est la conséquence de cela, aucune mission particulière indiquée. Dans quel sens voulez-vous qu'agisse leur initiative? « Chaque soldat, - ne nous lassons pas de le répéter, - doit connaître sa manœuvre. »
L'expérience le montre : aux manœuvres et, ce qui est plus grave, à la guerre, cette faute est une de celles qui sont le plus souvent commises. La précipitation de l'action l'explique parfois, ne l'excuse jamais. Profitons donc des manœuvres sur la carte, ou rien ne presse, pour prendre une bonne fois l'habitude d'orienter comme il convient nos subordonnés, pour nous exercer, ce qui n'est pas toujours facile, à définir d'une façon aussi brève et aussi claire que possible ce but, cette mission, dont la connaissance est indispensable à chaque exécutant, pour pouvoir adapter rationnellement sa conduite aux circonstances.
A 8''45, vous vous proposez de rejeter l'ennemi au delà de la Seille. L'idée est parfaitement juste. Mais vous êtes décidé, dès 8h 45, à ne pas y employer toutes vos forces, parce que, - dites-vous,– il s'agit pour vous de durer. Entre ces deux buts: 1° rejeter l'ennemi au delà de la Seille; 2° vous réserver pour des besoins ultérieurs, vous adoptez un moyen terme : n'attaquer qu'avec une partie de vos forces. Eh bien, c'est Napoléon qui le dit «A la guerre, les mezzo termine ne valent rien.» Vous échouerez, parce que vous aurez employé des moyens insuffisants. Vous mettiez toutes les chances de votre côté en attaquant à fond, avec toutes vos forces, quitte à passer à la défensive, à vous cramponner au terrain, si, en cours d'exécution, l'ennemi se manifestait supérieur. Cette condition n'est d'ailleurs pas spéciale à votre cas : c'est la condition dans toute attaque.

Mais étudions le détail :

Vous laissez à l'est de Saint-Jure, à 2 kilomètres en arrière, votre bataillon de réserve générale. Comment l'aurez-vous à temps, quand vous en aurez besoin?
Vous n'appelez qu'une des batteries du gros. A quoi pourront bien servir les deux autres, que vous laissez en surveillance sur la crête de la rive droite du ruisseau de Vigny? Une batterie pour préparer l'attaque, un bataillon pour l'exécuter, quand on dispose de six bataillons et de quatre batteries, c'est vraiment peu. Une attaque qui n'est pas une simple démonstration, une attaque qui veut réussir : - vous voulez, dites-vous, rejeter l'ennemi à la Seille, - ne se conçoit qu'à la condition, pour le chef, d'être fermement décidé à faire concourir au succès tous ses moyens.
L'intention de rejeter l'ennemi à la Seille, vous vous êtes contenté de la marquer. Vous n'attaquez que pour marquer le principe, beaucoup plus préoccupé que vous êtes de vous ménager les moyens de passer à la défensive, ou même de couvrir éventuellement votre retraite, qu'au fond vous préparez déjà, en laissant votre bataillon de réserve générale à l'est de Saint-Jure, la moitié de votre artillerie sur la crête au nord du ruisseau de Vigny.
La faute que vous commettez, vous ne tardez pas d'ailleurs à en payer les conséquences. La lutte d'artillerie s'engage pour vous dans les conditions les plus mauvaises qui soient. Disposant au total de quatre batteries, vous entamez cette lutte, à 9 heures, avec une seule. Vous la poursuivez, à partir de 9h20, avec deux. Votre troisième batterie, qui arrive à 9h40, doit s'employer immédiatement à appuyer la défense de Ressaincourt. Est-il étonnant que vous n'arriviez pas à prendre sur l'artillerie ennemie une supériorité marquée? Bien heureux encore que la distance vous ait épargné une sanction plus grave !
Pourquoi votre batterie d'avant-garde ne prend-elle aucune part à la lutte d'artillerie? Sans doute, de sa position de caponnière au nord et près de Ressaincourt, elle bat efficacement les abords de HaucourL Mais l'ennemi n'enlèvera pas ce village sans en préparer l'attaque avec son artillerie. Vous appliquer à paralyser celle-ci est donc, pour le moment, le meilleur moyen de défendre Raucourt.
Combien votre situation eût été meilleure, si, dès 9 heures, -vous le pouviez, - vous aviez eu vos quatre batteries réunies sur la crête au nord de Ressaincourt, en mesure de combiner leurs efforts soit pour dominer l'artillerie adverse, soit pour tenir sous leur feu les crêtes que l'infanterie ennemie doit traverser pour progresser vers votre position, en particulier la crête 235, qu'elle est obligée de franchir pour aborder Ressaincourt ! Combien surtout vous eussiez été en meilleure posture pour attaquer vous-même !
A 10 heures, vous vous décidez à battre en retraite. A l'encontre de ce qui se passe ailleurs, nous poserons et nous discuterons tout à l'heure la question préalable : Fallait-il battre en retraite ? Supposons pour le moment que votre résolution soit justifiée, et examinons les conditions dans lesquelles vous exécutez votre rupture du combat.
Vous vous proposez d'aller occuper en arrière une nouvelle position entre AIlémont et Berupt. Vous avez à ce moment deux bataillons disponibles le deuxième du deuxième régiment, entre la cote 264 et la corne ouest du bois de Ressaincourt; le troisième du deuxième régiment, à 800 mètres au nord de la cote 264. Vous envoyez celui-ci prendre immédiatement position sur la croupe d'Allémont, et, pour faciliter, dites-vous, rupture du combat, vous contre-attaquez avec l'autre.
Est-ce cela qu'il fallait faire ?
L'ennemi a trois bataillons devant Ressaincourt, où vous avez deux compagnies. Votre effort offensif va vous engager dans des conditions telles qu'une solution ne saurait tarder à intervenir, -suivant toute vraisemblance, à votre détriment, - aux abords du hameau. Vous n'aurez plus ensuite aucune troupe fraîche pour retarder le moment où l'ennemi prendra possession du plateau entre Ressaincourt et la cote 264. Dans quelles conditions s'exécutera votre retraite, quand l'ennemi y sera établi et y aura amené son artillerie ?
Vous n'aurez de repli que sur la croupe à l'est d'Allémont, où d'ailleurs votre troisième bataillon du deuxième régiment, ni votre artillerie, n'auront peut-être pas encore eu le temps de s'installer. Comment s'effectuera en particulier la retraite de vos deux bataillons engagés à Raucourt ?
Une fois votre retraite décidée, il fallait vous proposer de l'exécuter par échelons, en commençant précisément par ces deux bataillons. L'ennemi n'attaque Raucourt que de front, avec un seul bataillon. Vos deux bataillons pouvaient se dégager sans difficulté. L'établissement de l'ennemi sur la croupe au nord de Ressaincourt leur faisait courir un danger bien autrement sérieux. C'est à les prémunir contre ce danger que les troupes fraîches (2 bataillons) dont vous disposez encore, et votre artillerie, devaient être employées.
Le terrain vous offrait le moyen d'établir, entre la cote 264 et le bois, et au nord-ouest de la cote 264, une ligne d'infanterie soustraite aux vues de la batterie ennemie qui canonne Ressaincourt et de l'artillerie établie à 1500 mètres nord-est de Rouves, ligne d'infanterie tenant sous son feu le sommet du plateua au sud. Vous eussiez ainsi recueilli les deux compagnies évacuant Ressaincourt, et, ce qui est essentiel, vous eussiez empêche longtemps l'ennemi de prendre pied sur la hauteur au nord du hameau.
Pour y aider, en même temps que pour couvrir la retraite de vos bataillons de Raucourt, votre artillerie serait venue prendre position sur la croupe orientée est-ouest, au sud-est de Saint-Jure. Plus tard seulement, elle serait allée, par échelons, s'établir sur les hauteurs à l'est d'Allémont, sous la protection de vos deux bataillons venus de Raucourt.
De ces hauteurs, elle eût été en mesure de couvrir la retraite de votre deuxième échelon : les bataillons postés aux environs de la cote 264.
Pensez-vous que cet ensemble de dispositions n'était pas meilleur ?
Mais fallait-il rompre le combat, pour aller occuper une nouvelle position sur les hauteurs à l'est d'Allémont?
Votre résolution de battre en retraite n'a pas été pour moi une surprise. Elle était la conséquence forcée de votre disposition d'esprit antérieure. Pour vous en aller, vous n'attendez même pas que l'ennemi vous ait révélé manifestement des forces supérieures. Ces forces, vous supposez qu'il les possède et, de plus, qu'il les a à pied d'œuvre. Vous ne les attendez pas. Vous évacuez de plein gré votre position.
Il n'y a qu'un malheur, mais il est sérieux : votre mission n'est pas remplie. C'est plus qu'un malheur, c'est une faute, parce que vous n'avez pas fait le possible pour la remplir.
Couvrir la droite de l'armée du Nord, conserver la liaison avec Metz, telle était votre mission. On ne vous signale pas d'autre ennemi que celui qui a débouché par Nomeny. Jusqu'ici, la liaison avec Metz n'est pas menacée. Tous vos efforts peuvent, c'est-à-dire doivent s'employer à couvrir la droite de l'armée.
Cette droite, on vous l'a dit, est à Thézey-Saint-Martin. Sous prétexte de vous réserver pour des besoins ultérieurs problématiques, vous la découvrez, vous l'abandonnez pour aller vous établir entre Allémont et Berupt. L'ennemi, maître de Raucourt et de Ressaincourt, que vous venez d'évacuer, maître de Mailly, et du bois de Mailly, que vous n'avez fair aucun effort pour occuper et tenir, quand il en était temps encore, - plus tard, pour enlever, - l'ennemi va pouvoir maintenant, tout à son aise, déborder et prendre en flanc la droite de l'armée du Nord.
Installé sur la hauteur Raucourt, Ressaincourt, l'ennemi n'aura pas besoin de beaucoup de forces pour se prémunir, face au nord, contre un retour offensif, que d'ailleurs vous ne méditez nullement. Sans doute, vous avez encore de l'infanterie dans les bois de Ressaincourt et de Secourt. Mais la possession du bois de Mailly, et des boqueteaux à l'est, suffit à l'ennemi pour couvrir les attaques qu'il va diriger contre la droite de l'armée.
Cette droite sera battue, l'armée tout entière peut-être oblige de se replier. Mais, grâce à votre circonspection, grâce à l'habileté que vous avez eue de vous réserver pour des besoins ultérieurs, vous serez établi, en bonne santé, entre Allémont et Berupt : façon vraiment un peu trop moderne d'appliquer la vieille maxime « Péris, mais sauve tes frères !»
II n'y a pas de doute dès que vous avez su que la droite de l'armée était à Thézey-Saint-Martin, il fallait, coûte que coûte, vous emparer du village de Mailly ou, tout au moins, du bois en arrière. Maître de ce bois, des bois à l'est (le Belvédère, le Parc), votre artillerie sur la croupe 800 mètres nord-ouest de Phlin, vous étiez en mesure de vous opposer à une attaque débordante de l'ennemi contre Thézey.
Une offensive énergique, par l'ouest du massif forestier, dans la direction de Mailly, attirait sur vous, de toutes façons, des forces ennemies importantes, qui ne pouvaient s'employer contre la droite de l'armée du Nord. En cas d'échec, vous ne risquiez que d'être rejeté sur les bois de Ressaincourt et de Mailly. L'ennemi ne vous en aurait pas expulsé aisément, et votre présence y eut paralysé longtemps ses efforts contre Thézey.
Sans doute, l'ennemi pouvait se proposer de déborder et de tourner, par l'ouest et par le nord, l'ensemble du massif forestier. Mais l'opération eût été fort risquée; elle eût été longue; elle eût demandé des forces considérables, ne fût-ce que pour se couvrir contre une offensive de votre part, toujours possible. Autant de forces encore détournées de l'objectif à couvrir par vous : la droite de l'armée.
Enfin, si l'armée était obligée de se replier, l'occupation du massif couvrait encore sa droite contre les tentatives débordantes de l'adversaire.
Chose curieuse l'importance du massif forestier, l'importance en particulier du bois et du village de Mailly ne vous ont nullement échappé. Vous n'avez pas osé pourtant vous engager à fond pour vous en emparer, et pour en rester maître. Vous avez craint de vous faire battre. L'idée ne vous est pas venue qu'il y avait un malheur plus grand que celui-là : ne pas remplir votre mission.
« Bazaine pouvait me battre, - disait Alvensleben le 16 août, - il ne se serait pas débarrassé de moi aisément. » Même battu, le commandant du IIIe corps prussien prétendait remplir, malgré tout, la mission qu'il s'était attribuée.
Que ne vous êtes-vous inspiré de cette idée ! Que n'avez-vous appliqué la même tactique l'offensive, l'offensive quand même ! L'offensive, qui possède en elle-même une telle vertu, tant de ressources insoupçonnées, que, dans une situation qui semble sans issue, elle offre encore, en dépit même de l'apparence contraire, le meilleur, souvent l'unique moyen de se tirer d'affaire : l'offensive, qui en impose à l'adversaire; l'offensive, qui maintient dans notre camp l'ascendant des forces morales ; l'offensive, qui, pour toutes ces raisons, est seule capable, dans un cas difficile ou douteux, de satisfaire entièrement la conscience militaire d'un chef, en lui donnant la pleine assurance qu'il aura fait, quoi qu'il arrive, tout le possible, et même l'impossible, c'est-à-dire simplement son devoir.

Lieutenant-colonel MAISTRE,
Du 79e régiment d'infanterie.

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