Suite et fin de cet article de la Revue Militaire Générale. Je reprendrai ensuite la traduction des "Taktische Aufgaben".
TROISIÈME PARTIE -
CRITIQUE
D. Arrêtons ici
l'exercice.
Je
vous ai dit mon opinion au sujet de vos opérations de cavalerie; je
n'y reviendrai pas.
Quelques
observations seulement au sujet de vos ordres initiaux :
Le
paragraphe II de votre ordre d'opérations eût été complété
avantageusement par l'indication de ce que vous vous proposez de
faire, en cas de rencontre avec l'ennemi sur la rive droite de la
Seille. L'attention de tout le monde aurait été ainsi attirée sur
cette éventualité, et chacun aurait été fixé sur vos intentions.
Au
sujet des mesures prescrites à votre cavalerie, quelques
observations de détail :
1° J'aurais fait appuyer
par un peloton les reconnaissances d'officier dirigées sur Custines
et sur Marbache. Ces reconnaissances vont loin vous prévoyez que
leur mission pourra durer toute la journée. Il est utile de mettre à
leur portée un repli.
2° Vous faites partir de
Fleury, à 5h3o du matin, un demi-peloton de cavalerie, pour chercher
la liaison avec la droite de l'armée. C'est un élément un peu
lourd pour la mission dont il s'agit ; l'heure de départ est aussi
trop tardive. Vous avez un intérêt majeur à être renseigné de ce
côté le plus tôt possible. C'est une reconnaissance d'officier,
partant de très bonne heure, et marchant vite, qu'il fallait
envoyer. Elle vous aurait renseigné directement. Cela n'eût pas
dispensé, bien entendu, votre commandant de cavalerie d'assurer
cette liaison par ses propres moyens, comme vous le lui avez
d'ailleurs prescrit.
3° Vous prescrivez à
votre cavalerie d'aller retarder l'ennemi sur la rive gauche de la
Seille, dans le secteur Aulnois, Jeandelaincourt. Ce secteur n'est
pourtant pas le seul intéressant : l'ennemi peut s'avancer aussi
bien à l'ouest de la ligne Nomeny, Jeandelaincourt. Votre intention
est bien que, dans ce cas, votre cavalerie opère de même alors ne
lui limitez pas son secteur d'action.
Je
passe maintenant à l'étude de la manœuvre de votre brigade mixte.
Mais il me paraît utile de vous donner au préalable quelques
indications sur la situation, la mission et les opérations de
l'adversaire supposé auquel vous avez eu affaire.
Pour
l'ennemi, l'hypothèse générale faite par le directeur était la
suivante :
L'armée
ennemie (du sud) a forcé, le 28 février, les passages de la Seille
entre Vic et Manhoué. Son corps de gauche, non engagé dans la
journée, a pu atteindre à la nuit, avec son avant-garde, Arraye et
Ajoncourt. Son gros s'échelonne de Leyr à Custines.
Il
détache à gauche une brigade d'infanterie et trois batteries à
Belleau et Sivry (1 bataillon à Lixières), un régiment de
cavalerie et 100 cyclistes à Nomeny.
Le
corps d'armée a pour mission, le 1er mars, tout en
s'efforçant de déborder l'aile droite de l'armée du nord, de
couvrir le mouvement en avant général de l'armée du sud contre une
tentative venant de Metz.
Dans
ce but :
L'avant-garde
se porte, le 1er mars au matin, d'Ajoncourt sur Puzieux.
Le
détachement de flanc se porte, par Nomeny, sur la rive droite de la
Seille, en vue d'aller s'établir au nord des bois de Ressaincourt et
de Secourt, et de reconnaître dans les directions Nomeny, Metz et
Delme, Metz.
Le
gros du corps d'armée s'avance, par la grande route, sur Létricourt,
prêt à agir suivant les circonstances.
C'est au détachement
venant de Belleau et Sivry, et formant l'avant-garde du corps
d'armée, par Nomeny, dans la direction de Metz, que vous avez eu
affaire.
A
l'approche de votre colonne venant de Fleury, la cavalerie et les
cyclistes ont occupé Nomeny et Rouves, pour tenir ces deux localités
jusqu'à l'arrivée du bataillon venu de Lixières.
Grâce
aux couverts qui masquent du côté du nord le pont de Nomeny, ce
bataillon réussit, malgré la présence de votre section
d'artillerie à l'ouest de Mailly, à franchir la Seille par
fractions. Une fois rassemblé à l'ouest de Nomeny, il attaque le
mamelon au nord de cette localité, avec l'appui de l'artillerie, qui
a pris les devants et s'établit tout d'abord sur le plateau de la
ferme de Laborde. Une de ses batteries franchit le pont, par voitures
successives, et vient ouvrir le feu de la hauteur au sud du
cimetière.
Quand
votre cavalerie et sa batterie se sont repliées, le bataillon du
parti sud, qui s'est emparé du mamelon au nord de Nomeny, se porte,
largement déployé, dans la direction de Raucourt, à cheval sur la
route, couvert à gauche par la cavalerie (3 escadrons), qui s'est
avancée vivement, par Rouves, à la suite de vos deux escadrons
évacuant ce village. Les cyclistes ont pédalé sur Éply. Le
quatrième escadron s'est porté sur Mailly, où il a été accueilli
à coups de fusil. Le bataillon, tête du gros de la brigade, qui
pendant ce temps a atteint et franchi la Seille, marche sur le
village. L'artillerie prend position tout entière sur le mamelon 1
kilomètre nord de Nomeny.
Le
bataillon dirigé sur Mailly s'en empare, et attaque la lisière sud
du bois de Mailly. Le bataillon dirigé sur Raucourt attaque le
village, avec l'appui de l'artillerie, qui a fait un bond en avant,
pour venir s'établir sur la crête 1500 mètres nord-est de Rouves.
Un bataillon du gros s'avance dans la dépression à 1500 métres sud
de Raucourt, prêt à soutenir l'attaque, assurant également la
protection de l'artillerie. Le reste du gros (3 bataillons) se
rassemble dans le pli de terrain 1 kilomètre à l'ouest de Mailly,
masqué par la crête.
Le
commandant du détachement, constatant que son infanterie progresse
dans le bois de Mailly et le long de la lisière ouest de ce bois, se
décide à faire avancer son gros à l'abri (à l'est) de la crête
235, pour porter son principal effort sur Ressaincourt et le bois de
Ressaincourt. Il appelle une de ses batteries, qui, lorsque
l'infanterie est déployée devant les deux points d'appui, vient
s'établir à la cote 235.
Le
bataillon en réserve 1500 mètres sud de Raucourt reçoit l'ordre,
au cas où l'ennemi passerait à l'offensive direction Raucourt,
Nomeny, de recueillir le bataillon qui attaque le village, et de
contenir l'attaque avec l'appui de l'artillerie.
J'aborde
maintenant l'examen de votre manœuvre :
Rien
à dire des dispositions que vous prenez à 8h20. Tous vos efforts
doivent tendre tout d'abord, c'est visible, à vous établir sur la
position Raucourt, Ressaincourt. Cette position, forte sur son front,
peut difficilement être abordée par l'ouest : le terrain entre Éply
et Raucourt se prête mal à une attaque. A l'est, elle s'appuie au
massif forestier, où vous devrez mettre du monde pour vous couvrir,
et pour assurer, - ce qui est essentiel, - votre liaison avec
l'armée du Nord. Vous serez là en excellente posture, soit pour
résister, si vous y êtes obligé, soit pour passer ensuite à
l'attaque.
Mais,
à 8h20, on vous signale la fusillade du côté de Mailly, où vous
n'avez qu'un escadron. Les progrès de l'ennemi dans cette région
sont particulièrement inquiétants, car ils tendent à vous séparer
de la droite de votre armée, que vous avez expressément pour
mission de couvrir. J'estime que vous ne vous en inquiétez pas
assez. Vous dirigez un bataillon d'avant-garde de ce côté, mais
vous l'arrêtez à Ressaincourt et à la corne sud du bois du même
nom. Sans doute, il fallait assurer tout d'abord la possession de ces
deux points d'appui. Mais, au moins provisoirement, une compagnie
dans chacun d'eux c'était largement suffisant. Le reste du
bataillon, il fallait le pousser tout de suite sur Mailly pour
occuper le village et rester maître tout au moins de la lisière sud
du bois de Mailly.
Une
observation à propos de vos ordres de 8h20 : vous n'indiquez à
aucun des exécutants le but que vous vous proposez. Vous leur dites:
Faites ceci, occupez tels points, avec telles forces … Vous les
maniez comme les pions d'un jeu d'échecs, auxquels on n'est pas
obligé d'expliquer pourquoi on les déplace. Aucune idée d'ensemble
de l'opération à laquelle ils vont concourir et, ceci est la
conséquence de cela, aucune mission particulière indiquée. Dans
quel sens voulez-vous qu'agisse leur initiative? « Chaque soldat, -
ne nous lassons pas de le répéter, - doit connaître sa manœuvre.
»
L'expérience
le montre : aux manœuvres et, ce qui est plus grave, à la guerre,
cette faute est une de celles qui sont le plus souvent commises. La
précipitation de l'action l'explique parfois, ne l'excuse jamais.
Profitons donc des manœuvres sur la carte, ou rien ne presse, pour
prendre une bonne fois l'habitude d'orienter comme il convient nos
subordonnés, pour nous exercer, ce qui n'est pas toujours facile, à
définir d'une façon aussi brève et aussi claire que possible ce
but, cette mission, dont la connaissance est indispensable à chaque
exécutant, pour pouvoir adapter rationnellement sa conduite aux
circonstances.
A
8''45, vous vous proposez de rejeter l'ennemi au delà de la Seille.
L'idée est parfaitement juste. Mais vous êtes décidé, dès 8h 45,
à ne pas y employer toutes vos forces, parce que, - dites-vous,–
il s'agit pour vous de durer. Entre ces deux buts: 1° rejeter
l'ennemi au delà de la Seille; 2° vous réserver pour des besoins
ultérieurs, vous adoptez un moyen terme : n'attaquer qu'avec une
partie de vos forces. Eh bien, c'est Napoléon qui le dit «A la
guerre, les mezzo termine ne valent rien.» Vous échouerez,
parce que vous aurez employé des moyens insuffisants. Vous mettiez
toutes les chances de votre côté en attaquant à fond, avec toutes
vos forces, quitte à passer à la défensive, à vous cramponner au
terrain, si, en cours d'exécution, l'ennemi se manifestait
supérieur. Cette condition n'est d'ailleurs pas spéciale à votre
cas : c'est la condition dans toute attaque.
Mais
étudions le détail :
Vous
laissez à l'est de Saint-Jure, à 2 kilomètres en arrière, votre
bataillon de réserve générale. Comment l'aurez-vous à temps,
quand vous en aurez besoin?
Vous
n'appelez qu'une des batteries du gros. A quoi pourront bien servir
les deux autres, que vous laissez en surveillance sur la crête de la
rive droite du ruisseau de Vigny? Une batterie pour préparer
l'attaque, un bataillon pour l'exécuter, quand on dispose de six
bataillons et de quatre batteries, c'est vraiment peu. Une attaque
qui n'est pas une simple démonstration, une attaque qui veut
réussir : - vous voulez, dites-vous, rejeter l'ennemi à la Seille,
- ne se conçoit qu'à la condition, pour le chef, d'être fermement
décidé à faire concourir au succès tous ses moyens.
L'intention
de rejeter l'ennemi à la Seille, vous vous êtes contenté de la
marquer. Vous n'attaquez que pour marquer le principe, beaucoup plus
préoccupé que vous êtes de vous ménager les moyens de passer à
la défensive, ou même de couvrir éventuellement votre retraite,
qu'au fond vous préparez déjà, en laissant votre bataillon de
réserve générale à l'est de Saint-Jure, la moitié de votre
artillerie sur la crête au nord du ruisseau de Vigny.
La
faute que vous commettez, vous ne tardez pas d'ailleurs à en payer
les conséquences. La lutte d'artillerie s'engage pour vous dans les
conditions les plus mauvaises qui soient. Disposant au total de
quatre batteries, vous entamez cette lutte, à 9 heures, avec une
seule. Vous la poursuivez, à partir de 9h20, avec deux. Votre
troisième batterie, qui arrive à 9h40, doit s'employer
immédiatement à appuyer la défense de Ressaincourt. Est-il
étonnant que vous n'arriviez pas à prendre sur l'artillerie ennemie
une supériorité marquée? Bien heureux encore que la distance vous
ait épargné une sanction plus grave !
Pourquoi
votre batterie d'avant-garde ne prend-elle aucune part à la lutte
d'artillerie? Sans doute, de sa position de caponnière au nord et
près de Ressaincourt, elle bat efficacement les abords de HaucourL
Mais l'ennemi n'enlèvera pas ce village sans en préparer l'attaque
avec son artillerie. Vous appliquer à paralyser celle-ci est donc,
pour le moment, le meilleur moyen de défendre Raucourt.
Combien
votre situation eût été meilleure, si, dès 9 heures, -vous le
pouviez, - vous aviez eu vos quatre batteries réunies sur la crête
au nord de Ressaincourt, en mesure de combiner leurs efforts soit
pour dominer l'artillerie adverse, soit pour tenir sous leur feu les
crêtes que l'infanterie ennemie doit traverser pour progresser vers
votre position, en particulier la crête 235, qu'elle est obligée de
franchir pour aborder Ressaincourt ! Combien surtout vous eussiez été
en meilleure posture pour attaquer vous-même !
A 10
heures, vous vous décidez à battre en retraite. A l'encontre de ce
qui se passe ailleurs, nous poserons et nous discuterons tout à
l'heure la question préalable : Fallait-il battre en retraite ?
Supposons pour le moment que votre résolution soit justifiée, et
examinons les conditions dans lesquelles vous exécutez votre rupture
du combat.
Vous
vous proposez d'aller occuper en arrière une nouvelle position entre
AIlémont et Berupt. Vous avez à ce moment deux bataillons
disponibles le deuxième du deuxième régiment, entre la cote 264 et
la corne ouest du bois de Ressaincourt; le troisième du deuxième
régiment, à 800 mètres au nord de la cote 264. Vous envoyez
celui-ci prendre immédiatement position sur la croupe d'Allémont,
et, pour faciliter, dites-vous, rupture du combat, vous
contre-attaquez avec l'autre.
Est-ce
cela qu'il fallait faire ?
L'ennemi
a trois bataillons devant Ressaincourt, où vous avez deux
compagnies. Votre effort offensif va vous engager dans des conditions
telles qu'une solution ne saurait tarder à intervenir, -suivant
toute vraisemblance, à votre détriment, - aux abords du hameau.
Vous n'aurez plus ensuite aucune troupe fraîche pour retarder le
moment où l'ennemi prendra possession du plateau entre Ressaincourt
et la cote 264. Dans quelles conditions s'exécutera votre retraite,
quand l'ennemi y sera établi et y aura amené son artillerie ?
Vous
n'aurez de repli que sur la croupe à l'est d'Allémont, où
d'ailleurs votre troisième bataillon du deuxième régiment, ni
votre artillerie, n'auront peut-être pas encore eu le temps de
s'installer. Comment s'effectuera en particulier la retraite de vos
deux bataillons engagés à Raucourt ?
Une
fois votre retraite décidée, il fallait vous proposer de l'exécuter
par échelons, en commençant précisément par ces deux bataillons.
L'ennemi n'attaque Raucourt que de front, avec un seul bataillon. Vos
deux bataillons pouvaient se dégager sans difficulté.
L'établissement de l'ennemi sur la croupe au nord de Ressaincourt
leur faisait courir un danger bien autrement sérieux. C'est à les
prémunir contre ce danger que les troupes fraîches (2 bataillons)
dont vous disposez encore, et votre artillerie, devaient être
employées.
Le
terrain vous offrait le moyen d'établir, entre la cote 264 et le
bois, et au nord-ouest de la cote 264, une ligne d'infanterie
soustraite aux vues de la batterie ennemie qui canonne Ressaincourt
et de l'artillerie établie à 1500 mètres nord-est de Rouves, ligne
d'infanterie tenant sous son feu le sommet du plateua au sud. Vous
eussiez ainsi recueilli les deux compagnies évacuant Ressaincourt,
et, ce qui est essentiel, vous eussiez empêche longtemps l'ennemi de
prendre pied sur la hauteur au nord du hameau.
Pour
y aider, en même temps que pour couvrir la retraite de vos
bataillons de Raucourt, votre artillerie serait venue prendre
position sur la croupe orientée est-ouest, au sud-est de Saint-Jure.
Plus tard seulement, elle serait allée, par échelons, s'établir
sur les hauteurs à l'est d'Allémont, sous la protection de vos deux
bataillons venus de Raucourt.
De
ces hauteurs, elle eût été en mesure de couvrir la retraite de
votre deuxième échelon : les bataillons postés aux environs de la
cote 264.
Pensez-vous
que cet ensemble de dispositions n'était pas meilleur ?
Mais
fallait-il rompre le combat, pour aller occuper une nouvelle position
sur les hauteurs à l'est d'Allémont?
Votre
résolution de battre en retraite n'a pas été pour moi une
surprise. Elle était la conséquence forcée de votre disposition
d'esprit antérieure. Pour vous en aller, vous n'attendez même pas
que l'ennemi vous ait révélé manifestement des forces supérieures.
Ces forces, vous supposez qu'il les possède et, de plus, qu'il les a
à pied d'œuvre. Vous ne les attendez pas. Vous évacuez de plein
gré votre position.
Il
n'y a qu'un malheur, mais il est sérieux : votre mission n'est
pas remplie. C'est plus qu'un malheur, c'est une faute, parce que
vous n'avez pas fait le possible pour la remplir.
Couvrir
la droite de l'armée du Nord, conserver la liaison avec Metz, telle
était votre mission. On ne vous signale pas d'autre ennemi que celui
qui a débouché par Nomeny. Jusqu'ici, la liaison avec Metz n'est
pas menacée. Tous vos efforts peuvent, c'est-à-dire doivent
s'employer à couvrir la droite de l'armée.
Cette
droite, on vous l'a dit, est à Thézey-Saint-Martin. Sous prétexte
de vous réserver pour des besoins ultérieurs problématiques, vous
la découvrez, vous l'abandonnez pour aller vous établir entre
Allémont et Berupt. L'ennemi, maître de Raucourt et de
Ressaincourt, que vous venez d'évacuer, maître de Mailly, et du
bois de Mailly, que vous n'avez fair aucun effort pour occuper et
tenir, quand il en était temps encore, - plus tard, pour enlever, -
l'ennemi va pouvoir maintenant, tout à son aise, déborder et
prendre en flanc la droite de l'armée du Nord.
Installé
sur la hauteur Raucourt, Ressaincourt, l'ennemi n'aura pas besoin de
beaucoup de forces pour se prémunir, face au nord, contre un retour
offensif, que d'ailleurs vous ne méditez nullement. Sans doute, vous
avez encore de l'infanterie dans les bois de Ressaincourt et de
Secourt. Mais la possession du bois de Mailly, et des boqueteaux à
l'est, suffit à l'ennemi pour couvrir les attaques qu'il va diriger
contre la droite de l'armée.
Cette
droite sera battue, l'armée tout entière peut-être oblige de se
replier. Mais, grâce à votre circonspection, grâce à l'habileté
que vous avez eue de vous réserver pour des besoins ultérieurs,
vous serez établi, en bonne santé, entre Allémont et Berupt :
façon vraiment un peu trop moderne d'appliquer la vieille maxime «
Péris, mais sauve tes frères !»
II
n'y a pas de doute dès que vous avez su que la droite de l'armée
était à Thézey-Saint-Martin, il fallait, coûte que coûte, vous
emparer du village de Mailly ou, tout au moins, du bois en arrière.
Maître de ce bois, des bois à l'est (le Belvédère, le Parc),
votre artillerie sur la croupe 800 mètres nord-ouest de Phlin, vous
étiez en mesure de vous opposer à une attaque débordante de
l'ennemi contre Thézey.
Une
offensive énergique, par l'ouest du massif forestier, dans la
direction de Mailly, attirait sur vous, de toutes façons, des forces
ennemies importantes, qui ne pouvaient s'employer contre la droite de
l'armée du Nord. En cas d'échec, vous ne risquiez que d'être
rejeté sur les bois de Ressaincourt et de Mailly. L'ennemi ne vous
en aurait pas expulsé aisément, et votre présence y eut paralysé
longtemps ses efforts contre Thézey.
Sans
doute, l'ennemi pouvait se proposer de déborder et de tourner, par
l'ouest et par le nord, l'ensemble du massif forestier. Mais
l'opération eût été fort risquée; elle eût été longue; elle
eût demandé des forces considérables, ne fût-ce que pour se
couvrir contre une offensive de votre part, toujours possible. Autant
de forces encore détournées de l'objectif à couvrir par vous : la
droite de l'armée.
Enfin,
si l'armée était obligée de se replier, l'occupation du massif
couvrait encore sa droite contre les tentatives débordantes de
l'adversaire.
Chose
curieuse l'importance du massif forestier, l'importance en
particulier du bois et du village de Mailly ne vous ont nullement
échappé. Vous n'avez pas osé pourtant vous engager à fond pour
vous en emparer, et pour en rester maître. Vous avez craint de vous
faire battre. L'idée ne vous est pas venue qu'il y avait un malheur
plus grand que celui-là : ne pas remplir votre mission.
«
Bazaine pouvait me battre, - disait Alvensleben le 16 août, - il ne
se serait pas débarrassé de moi aisément. » Même battu, le
commandant du IIIe corps prussien prétendait remplir, malgré tout,
la mission qu'il s'était attribuée.
Que
ne vous êtes-vous inspiré de cette idée ! Que n'avez-vous appliqué
la même tactique l'offensive, l'offensive quand même ! L'offensive,
qui possède en elle-même une telle vertu, tant de ressources
insoupçonnées, que, dans une situation qui semble sans issue, elle
offre encore, en dépit même de l'apparence contraire, le meilleur,
souvent l'unique moyen de se tirer d'affaire : l'offensive, qui en
impose à l'adversaire; l'offensive, qui maintient dans notre camp
l'ascendant des forces morales ; l'offensive, qui, pour toutes ces
raisons, est seule capable, dans un cas difficile ou douteux, de
satisfaire entièrement la conscience militaire d'un chef, en lui
donnant la pleine assurance qu'il aura fait, quoi qu'il arrive, tout
le possible, et même l'impossible, c'est-à-dire simplement son
devoir.
Lieutenant-colonel
MAISTRE,
Du 79e
régiment d'infanterie.